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« Un matin de novembre 2021, mon frère, Lucas, est venu spécialement de Lyon pour passer la journée à Paris. Notre rendez-vous était programmé depuis plusieurs mois. Nous avons bu un café ensemble avant de partir nous faire tatouer tous les deux. Le même dessin au même endroit. Un petit paysage monochrome noir, représentant un bateau passant devant le rocher du Fastnet et son célèbre phare, situé à la pointe sud de l’Irlande.
Je suis passée la première. Pour ne pas penser à la douleur, je me rappelle avoir compté le nombre de carreaux du revêtement au sol dans le studio de tatouage. Ensuite, ç’a été le tour de mon frère, qui a gémi toute la séance. Lui l’a fait sous les côtes, un endroit très sensible. Moi légèrement plus sur le côté, car je savais que je voulais avoir un deuxième enfant et qu’il ne fallait pas choisir un endroit où la peau puisse être distendue par la grossesse.
Quand on a vu le résultat sur nos deux corps, nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre en pleurant. Nous n’avions pas anticipé cette montée d’émotions. C’était l’aboutissement de notre projet commun, et le résultat final correspondait exactement à notre souhait. Un motif très simple, un brin mélancolique, placé dans un endroit caché, car il fait référence à une histoire intime.
Cette petite “carte postale” est un hommage à mon père, Patrick, décédé, en mars 2020, d’un cancer. Il avait 62 ans. Dirigeant commercial dans une PME familiale de peinture à Montélimar [Drôme], il avait de nombreuses passions : la musique, le golf et, surtout, la navigation. Il venait d’un milieu populaire, et avait découvert la voile en colonie de vacances en Bretagne, dans l’archipel des Glénan. Une révélation. Il n’a jamais possédé de bateau, il n’aurait pas assumé “cet attribut de riche”, mais, dès qu’il le pouvait, il partait voguer en équipage.
Enfants, nous n’avons pas partagé sa passion, car nous vivions loin de l’océan et surtout parce que ma mère, professeure de danse, était malade en bateau. A partir de la cinquantaine, il est beaucoup plus parti, car nous étions grands ou déjà indépendants. Tel un vieux loup de mer, il parlait souvent de se faire tatouer l’édifice en granit, point de passage de nombreuses courses à la voile, ou nos trois prénoms. Il n’a jamais mis à exécution cette idée, qui était devenue une plaisanterie entre nous.
A son décès, l’idée de faire dessiner sur mon corps quelque chose en son souvenir a fait son chemin. J’ai pensé à plusieurs motifs, une rose de son jardin, sa signature, un mot, avant de me décider pour le phare. Mon frère partageait la même envie de garder une trace de lui, d’avoir près du cœur quelque chose qui lui était cher. Ma grande sœur aimait la symbolique mais n’était pas prête à sauter le pas.
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